« Goesting », des mots qui parlent
Une langue standard pour la Flandre
Officiellement, les Belges néerlandophones pratiquent la même langue que les habitants des Pays-Bas. Un Flamand reconnaîtra pourtant infailliblement un Néerlandais, et vice versa, car leur langage quotidien diffère. Si vous entendez quelqu’un qui s’exclame « Ik heb goesting in een croque-monsieur », pour dire son envie d’un croque-monsieur, c’est sûrement un Flamand. Un Néerlandais exprimera la même fringale en disant plutôt « Ik heb trek in een tosti ».
Le dictionnaire Van Dale, qui fait autorité en la matière, définit le mot « goesting » [`xustɪŋ], comme une envie, un désir, une appétence. On peut utiliser le vocable dans des expressions telles que « ieder zijn goesting » (« à chacun son envie ») ou « een broek vol goesting », littéralement « un pantalon gonflé d’envie », une manière de dire qu’on est excité sexuellement. Van Dale précise que « goesting » est un mot familier qui appartient exclusivement au néerlandais de Belgique, cette variante du néerlandais que pratiquent les Flamands et qui est entre autres marquée dans son vocabulaire par une influence du français. Goesting est d’ailleurs un dérivé de l’ancien français gost, du latin gustus, goût.
Les différences entre le néerlandais des Pays-Bas et le néerlandais de Belgique illustrent l’influence qu’ont les frontières des États sur l’utilisation des langues. Dans le même temps, il faut bien constater que l’impact de la politique et de directives linguistiques sur l’usage d’une langue reste assez limité. Il y a des Flamands (d’un certain âge pour la plupart) qui restent fort attachés à leur dialecte. Quant aux jeunes, la majorité d’entre eux s’expriment aujourd’hui plutôt dans une langue dite « intermédiaire », appelée « tussentaal », littéralement « langue entre deux », une langue qui oscille entre le dialecte et le néerlandais standard. Et puis il y a les nouveaux arrivants qui apportent dans leurs bagages des mots et des expressions qui leur sont propres et qui peuvent ensemencer la langue du pays d’accueil.
www.schrijversgewijs.be
L’écrivain et philologue flamingant Jan Frans Willems (1793-1846) défendit avec ardeur l’unité linguistique entre les Néerlandais et les Flamands.
Une langue standard pour la Flandre
C’est à partir du XVIe siècle que le néerlandais « standard » apparut dans le territoire qui correspond aux Pays-Bas d’aujourd’hui. À l’époque, les imprimeurs, les fonctionnaires et les juristes plaidaient en faveur de règles linguistiques uniformes. C’est surtout le hollandais de la bourgeoisie aisée qui fournit la matière première d’une langue modèle diffusée dans tout le pays en tant que norme. Ce processus d’uniformisation de la langue était une entreprise à proprement parler humaine : les érudits établissaient des règles et décidaient quels mots et quelles structures de phrases étaient désormais corrects. Ils consignaient ces connaissances dans des dictionnaires et des grammaires.
Lorsque le mouvement flamand prit la défense des néerlandophones en Belgique au XIXe siècle, il avait fallu s’entendre sur la question de la langue standard. Les Flamands devaient-ils développer leur propre version ou adopter la norme néerlandaise déjà existante ? La seconde solution l’emporta : la plupart des linguistes et des « cultuurflaminganten », c’est-à-dire des défenseurs de la culture flamande, étaient d’avis qu’un « flamand standard » ne bénéficierait que de peu de prestige et ne pourrait pas rivaliser avec le français, qui faisait alors office de langue officielle en Belgique. Ces défenseurs de la culture flamande espéraient en outre qu’une langue unifiée favoriserait le rapprochement culturel et politique avec les Pays-Bas.
Malgré les discussions parfois houleuses à propos du bon usage d’un langage correct, de nombreux Flamands « deden hun goesting », autrement dit, ils continuèrent la plupart du temps à parler tout simplement comme ils en avaient envie. Ce n’est donc peut-être pas tout à fait par hasard que les auditeurs de la station de Radio 1 ont élu en 2004 le mot « goesting » comme le plus beau mot de la langue néerlandaise.
À propos
Pour approfondir le sujet
Non-fiction
Atlas van het dialect in Vlaanderen
Lannoo, 2022.
De vele gezichten van het Nederlands in Vlaanderen
Acco, 2018.
Wie zegt wat waar? Regionale taal in Nederland en Vlaanderen
Genootschap Onze Taal, 2021.
Atlas van de Nederlandse taal: editie Vlaanderen
Lannoo, 2018.
Taalwetten maken en vinden
Sterck & De Vreese, 2021.
Het verhaal van het Vlaams:de geschiedenis van het Nederlands in de Zuidelijke Nederlanden
Standaard, 2003.
Waarom Vlaanderen Nederlands spreekt
Davidsfonds, 2001.
Strijden om taal: de Belgische taalkwestie in historisch perspectief
Pelckmans, 2010.
Bandes dessinées
Suske en Wiske. De nerveuze Nerviërs (nr. 69)
Standaard Uitgeverij, 1972.